S. Orrigo ou le fouet de la résistance D’où vient que Stephan Orrigo biffe le plus souvent l’intégralité de son prénom, la lettre « e » étant depuis longtemps sur la table d’un laboratoire d’analyses linguistiques, comme grande absente de la terminaison de son prénom ? Pourquoi? Probablement à cause de la morphologie du « s », un signe conçu pour imager un fouet, oui probablement. Non pas que ce popartiste qui cherche son bien dans les matériaux industriels ait quelque tourment à flageller les âmes immorales, mais les familiers de sa production ont repéré ici et là les traces de légères pulsions sadiques, sans lesquelles aucun humour n’existe. Enfants, il nous arrivait de classer les semi-conducteurs et les transistors dont les minuscules bandes colorées sur les pourtours nous intriguaient. Mais nous étions beaucoup trop cancres pour admettre alors qu’une interprétation de la résistance électrique pouvait s’afficher ainsi. Nous aussi nous résistions à notre manière, ne voulant pas intégrer trop de savoir et de langue morte, désirant à l’inverse passer aux travaux pratiques sans regarder l’heure, agir vite comme au cirque ou au Music Hall, entrer dans la vie comme Hoppalong Cassidy ou Calamity Jane. Construire des postes de radio en enroulant un fil de cuivre gainé avant d’y poser un curseur sur le parcours dénudé dans le but d’entendre les voix transmises par ondes hertziennes nous fascinaient... Voices of America... Harmonie du Monde... Bel Canto and somebody loves me. La monophonie nous obligeait à tendre l’oreille, à imaginer l’environnement plus vaste qu’il n’est, sur le mode joyeusement contraignant de la basse fidélité. Comme on dit, l’imagination faisait le reste. Il y avait là comme un début de western, film dans lequel nous nous exercions à attraper des bisons au lasso ou à fouetter les bovidés s’approchant de la ligne de fer barbelé. Et fouetter bien sûr les scélérats qui maintenaient prisonnière la jeune veuve au ranch perdu sous les montagnes... Une même passion pour la mythologie moderne jusque dans ses expressions populaires et aristocrates anime S. Orrigo. Elle détermine ce qui sort de son esprit ironique, d’un esprit qui s’enroule presque exclusivement autour de tubes en cartons que notre société abandonne quotidiennement sur les trottoirs. Aussi vite récupérés et réorganisés dans un espace artistique où se déplace lentement et avec la précision du psychokiller S. Orrigo, les voici multipliés, solitaires, en foules imperturbables ou en célibataires hilares, dansant dans un cadre mouluré, respirant sous une hémisphère transparente, installés sur l’échiquier sans que l’on comprenne qui est le fou et qui est le cavalier. Ailleurs, les revoici prenant la pose sur un pied de verre à pied, comme parfois rescapés, estropiés, unijambistes et revenus miraculeusement d’une mine d’or explosée ou d’un duel au vainqueur ambigü. Tout cela pour dire que l’espace ici reconstruit est autant visuel qu’acoustique, presque comme si les tubes peints et immatriculés par S. Orrigo nous envoyaient des sons, des sifflements, la musique du fond de sa mine d’or à lui... Et nous revoilà échappant à un éboulement, libres encore un peu, heureux de pouvoir communiquer les nouvelles jusqu’en Arizona après avoir rétabli les lignes électriques. Je suis un cavalier solitaire qui... Denis Chollet |